The Climb

Un film drôle et fêlé sur le mystère de l’amitié masculine, qui survit là où l’amour échoue.

"The Climb" ne se raconte pas. Il sera question de mariage, de deuil, de séparation, et de vélo, de vacances à la montagne, de ski artistique, d’enterrement, de fête de famille et de pêche à la ligne sur un lac gelé. La vie quoi. Au contraire de l’amour, qui requiert un peu de variété, l’amitié se contente de peu. Pourquoi un tel mystère ? Pourquoi Mike et Kyle, devenus des adultes certes imparfaits, revenus de tout, restent-ils indéfectiblement attachés l’un à l’autre ? Covino ne répond pas, il montre. Marcel Proust, qui comparait l’amitié à « un attendrissement confus à se sentir soutenu sur des étais extérieurs, hospitalisé dans une individualité étrangère », n’aurait pas aimé.

Plus subtil et retors qu’un simple « Buddy Movie », "The Climb" est doublement un film sur l’amitié. Aussi proches l’un de l’autre à la ville que les personnages qu’ils interprètent à l’écran, Michael Angelo Covino et Kyle Marvin ont imaginé et écrit ce long-métrage ensemble pendant de longues années durant lesquelles ils ont parfait leur maîtrise dans des films publicitaires et l’écriture de scénarios.

De version en version, "The Climb", d’abord présenté sous forme de court-métrage au festival de Sundance en 2018, s’est ramifié, jusqu’à sa forme actuelle, apparemment décousue mais totalement maîtrisée. Une forme où se mêlent ruptures de ton, non-sens, ellipses de plusieurs années et fluidité, comme l’illustre ce long plan séquence virtuose où une caméra voyeuse et caressante explore une soirée de Thanksgiving à travers les fenêtres d’une maison de famille. À nouveau, Kyle doit se marier. À nouveau, Mike rôde dans les parages…

"The Climb" est de ces films américains, indés [indépendants] à mort, qui font explicitement du pied aux publics européens. Voire des appels de phare au cinéma français – veine gaieté mélancolique à la Claude Sautet dont le cinéaste s’avoue très entiché. Ça commence pourtant avec deux Américains moyens, affublés des habituels prénoms monosyllabiques de bro movies : Mike et Kyle partagent une amitié virilo-romantique depuis toujours. Ils vont cheminant à vélo dans les Alpes quand le premier révèle au second la liaison torride qu’il vit avec sa fiancée, à quelques semaines du mariage. Ce démarrage en côte – marqué par un humour tout en flegme, presque dissocié – donne le la et la cadence du film, dénivelé de placidités frappées d’amertume, qui sont autant de vues en coupe sur l’amitié masculine et ses sévices. […]

On croit d’abord voir "The Climb" foncer dans le traquenard de la bromédie au logiciel miso […]. Fausse piste : il n’y a qu’à voir comment ce premier long métrage très prometteur réarrange à sa sauce le cliché de la course jusqu’à l’autel qui vise à interrompre le mariage, et son anti-happy end de guingois. Michael Angelo Covino cadre la bromédie dans un mouvement indolent et régulier, qui paraît mimer l’avancée vers un horizon de vie étonnamment desséché (le mariage comme contrat normé vers lequel Kyle se laisse porter). Tout au long de ce lancer de tartes à la crème biliaires, c’est sans trémolos qu’il se pose la question (et en réalité, le problème) des gens dont on s’entoure pour devenir adulte, comme une manière de rester coincé avec eux.